L'emotion de censure - Partie 7

Publié le par Deslivresetnous

Ce jour là, je conquérais le Monde de ma table d'écoute, pour patienter intellectuellement, et pour amadouer peut-être... Il y avait beaucoup d'autre monde dans la brasserie, quelques ravissantes demoiselles aux sourires sibyllins et une si vilaine gueule, la mienne. Des cornards mondialement inconnus avaient déclaré un soir de pluie et de brouillard que la vraie beauté venait de l'âme, ils auraient mieux fait de se voiler la face ce jour là ou d'enlever la merde qu'ils avaient dans les yeux...  Pour plaire ou se complaire dans ces cas là, mieux vaut lire un journal  comme le Monde que les avatars quotidiens de sportifs hormonés dans l'Équipe. Aux sodomies mouchetées et indécences métaphysiques, un hétérosexuel pur et dur privilégiera toujours les louables performances physiques. Même avec une moussante Pelforth brune, j'éprouvais d'énormes difficultés à ausculter puis occulter toutes les conneries que la communauté universelle invente ou réinvente chaque matin. Tant pis, j'étais bien dans mes souliers, dévisageant et envisageant le pire devant ces échasses dénudées, offertes aux seuls regards, réservées à tous mes fantasmes... Puis, j'aperçus enfin Victor, comme de coutume, il était lourdement à la bourre. Pigeon voyageur, il semblait cette fois partir encore plus loin qu'il n'ait jamais été avant l'hiver. Ses valises paraissaient impressionnantes, cachant laborieusement des yeux à la coke en pleine ébullition...

Philippe Menvussa souriait paisiblement, son suranné condisciple simulait vainement, sans réel succès. Humble saigneur de l'hypocrisie et habile négociateur, le pimpant directeur d'une agence d'urbanisme en plein boum, prit en main la conversation courte durée qui s'engageait sur un chemin semé d'embûches.
_ C'est quand même plus sympathique de se retrouver ici plutôt qu'au commissariat, non ?
Le fonctionnaire éprouvé approuva, dénouant nonchalamment une cravate de pingouin pour la glisser subtilement dans sa poche revolver. Beau joueur, il se mit enfin à table, cachant sa joie et avouant son plaisir devant ces nombreux vices de formes. De splendides extraterrestres envahissaient leur planète. Brunes, blondes, rousses, des colorées, décolorées, qu'importe, elles ne portaient que le superflu, suggérant l'impensable indispensable. Ces névrosés pas assez osés auraient volontiers fertilisé l'une de ces terres fertiles, inconnues, incongrues sur la table, autel du sacrifice, à proximité de tous ces étrangers. Menvussa se marrait. Comme il n'en avait jamais douté, cet acolyte alcoolique qu'il n'avait plus fréquenté depuis belle Lurette, n'avait pas changé ou si peu... Il reprit de plus belles, comme ces autres courtisanes courtisées et surchaussées se baladant désespérément séduisantes sur le trottoir déchaussé d'en face.
_ Sea, sex and sun vaudra toujours mieux que bistrot, boulot, dodo, aussi sûr que les assassins retournent toujours sur les lieux du crime. N'est-ce pas ?
Philippe n'était pas un joueur de basket, mais son physique trapu de lutteur grec complété par un vicelard regard de sicilien cocu auraient fait tourner le lait de plus d'une nourrice. Il en imposait, fringué comme un milord, la démarche chaloupée, rat rageur au sourire ravageur. Ce n'était qu'une image pas toujours sage, un stéréotype constipé qui vraisemblablement aspirait à tout et n'inspirait à rien, une parodie d'un comédien inconnu qui se prendrait à la fois pour Delon et Belmondo... Des acteurs d'une époque révolue, de vieilles photographies jaunies puis rajeunies à l'eau de chaux. Victor fut surpris, sans plus, il le savait provocateur, il le contempla pensif, les yeux flirtant avec ceux d'un suspect trop expansif, le souffrir carnassier au coin des lèvres :
_ Pourquoi tu me sors toutes ces conneries ?
_ Je ne sais pas... histoire de dérider l'atmosphère... Cinq ans que tu as disparu de ma circulation, mon soiffard de père s'est enfin zigouillé dans des conditions rocambolesques et toi, inspecteur de la criminelle, tu me téléphones trois jours après la mise en bière...
Tourmenté, le roussin se passa  les doigts dans ses cheveux mi-longs, mi-blonds, le cadre supérieur avait fait mouche une fois de plus, comme quand ils étaient moucherons... Décidément, le temps passait, et il n'y avait pas que les écrits qui restaient. Pendant les cours interminables de philo ou durant des conversations de piliers de bar forcément plus enivrantes, il avait inlassablement défendu l'essentialisme qui disait qu'avec l'âge les hommes ne changent pas, ils pourrissent... C'est différent, tout est dans la nuance. Dieu, odieux jusque là lui donnait entièrement raison, quoiqu'il fasse, il aurait toujours ce sentiment d'infériorité vis à vis de monsieur attaché-case.
_ Je voulais te rencontrer amicalement  avant que le commissaire ne le fasse demain. Ils ne savent pas que nous sommes amis, je... 
Menvussa qui lampait paisiblement le fond écumé de son soluble gazeux, ne put s'empêcher d'y ajouter laconiquement quelques bulles. C'était la goutte de bière qui faisait déborder le vase. Son verre devenait une vraie bande dessinée, ce qui fit se bidonner copieusement une bande décimée de disgracieuses et boutonneuses lycéennes attablées à leur gauche.
_ Amis ..? Sais-tu vraiment ce que ça veut dire être amis ? Non. Tu ne sais pas, d'ailleurs t'as jamais vraiment su...  Nous ne sommes plus copains depuis cinq ans, depuis que tu as décidé subitement de changer d'univers relationnel... Tu sais ce que j'en pense ? Je crois plutôt que tu cherches à démêler tout seul les noeuds d'une intrigue qui n'existe pas... Toute cette masturbation intellectuelle pour révéler à je ne sais qui que tu n'es pas entièrement raté. Je me trompe ?
La glace était brisée, le Perrier qui venait tout juste d'être servi, prenait enfin ses aises. Malaises. Victor avait tort, et le tort tue. Sa carapace fêlée, chélonien retourné, il ne pouvait plus manufacturer son illusion bon marché.
_ Je sais pertinemment que tu as toujours détesté ton père, et eux savent que tu as de sérieux problèmes d'argent et que l'héritage qu'il laisse va largement te permettre de renflouer le paquebot en rade qu'est ta boite à dessous de tables... Des bonnes raisons d'assassiner un homérique alcoolique, un abonné des putes et de la gerbe au pastis.               
Un partout, balle au centre des préoccupations. L'autre ne l'avait pas délaissé du regard, ses pupilles, cadets de ses soucis avaient été, un temps, des Kalachnikov puis peu à peu s'étaient radoucies. On ne tire pas sur une ambulance… Il gloussait, c'était probablement la seule chose  à ne pas faire. Le silence est d'or, la parole est d'argent. Philippe l'amidonné sortit chichement son larfouille capitonné pour célébrer le dommage rendu.
_ C'est l'heure de l'apéro, je t'offre quoi ? Un Pastis, un Martini, une main dans la gueule, un Whisky, un autre Perrier, une embrassade, des aveux, une larme ou un Kir, une larme de Kir peut-être..?
Désemparé, dépité, désespéré et que sais-je encore, Victor l'astronome hoqueta et leva les yeux au ciel avant de lever le camp, déconcentré. A cours de réponses psychologiquement plausibles au comportement singulier du garnement. Il se leva du mauvais pied, sortit quelques piécettes jetées agressivement dans le cendrier encore puceau de toute brûlure…
_ Désolé, mais c'est la vérité... Parler donne soif et nous n'avons plus rien à nous dire depuis plusieurs années. Les beuveries entre anciens, cela me fait chier. Je n'ai pas encore l'âge ou je ne l'ai plus, vas savoir... Bois un coup à ma santé. Tiens, t'y seras peut être bientôt à " La Santé "... Je t'aurais prévenu... Je t'avais appelé pour essayer de parler sérieusement. Enfin, tant pis… j'ai l'habitude avec toi. Adieu connard !
Les jetons de laiton ne résonnaient plus dans l'escarbilloire, la parole pas drôle de Victor reçut un écho défavorable. Il faudrait bien qu'il lui rende la monnaie de sa pièce. Alors que l'inspecteur prenait gauchement ses cliques puis ses claques, Menvussa junior faisait la moue, s'attardant mollement sur les ultimes phrases de l'individu qui maintenant le considérait et déconsidérait de loin, soupirant au volant d'une merdique automobile. Lui seul appréciait encore les contrepèteries et autres joutes grammaticales auxquelles ils se livraient adolescents délaissés... Quand le bateau coule, les rats quittent le navire…En bon capitaine de frégate, je me commandais évidemment une mousse plus fraîche puis décidais sans attendre de reprendre ma lecture du paysage avoisinant. Le lendemain matin, je tenais conciliabule chez Serge Abouard, l'éminent proéminent hiérarchique de Victor. Cette infirmité administrative me faisait énormément chier, il faut dire que l'attitude monarchique de son inférieur hiérarchique m'avait rendu très mélancolique néphrétique. Cette convocation embaumait la merde à plein blaire.

Publié dans Les Ouvrages

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