L'emotion de censure - Partie 9

Publié le par Deslivresetnous

Des mouches louches volaient dans leur silence réprobateur, Abouard relâcha doucement son emprise sur le suspect principal et s'assit maladroitement sur le bureau des pleurs. Une de ses flasques fesses en profita incidemment pour jeter malencontreusement la pendulette dans la vide. Encore un meurtre camouflé en suicide... Un éclat de verre plus tard, Menvussa tapait modérément dans ses mains moites.
_ Bravo, belle démonstration, très spectaculaire, je reviendrais pour le même prix... dommage que vous ayez une abominable haleine de phoque. C'est peut-être parce que vous êtes pédé ? La merde que vous avez dans le cul, vos petits copains vous la font sans doute remonter jusqu'aux amygdales... Vous savez, il existe aujourd'hui d'excellents After Shaves pour ce que vous avez... Ma tante Amandine d'ailleurs a eu...
Le grand brun avec deux chaussures noires leva la main droite du diable, pour finalement se raviser. Se raviser pour mieux régner.
_ Tu ferais mieux de ne pas la jouer trop finaude avec moi, petite tarlouze... T'as de la chance qu'on ai encore rien contre toi pour l'instant... Mais tu ne paies rien pour attendre, je ne suis pas pressé…En attendant, tu me feras le plaisir de faire une déposition dans les règles de lard à l'un de mes adjoints.
Il n'est point de sot métier. La voix de la raison du plus fort est souvent la meilleure, la sienne appela donc énergiquement un certain coton tige... C'est bien connu, Pierre Kiroule n'amasse pas mousse. Ca roule pour Kiroule, en deux temps, trois mouvements, son assistant insistant qui ressemblait effectivement à un coton tige après usage fit son apparition. Ses cheveux blancs frisés, qui frisaient tantôt la cochonnerie, tantôt la calvitie, semblaient infestés d'énormes et inhumaines pellicules verdâtres. Je le suivis sans mot dire, maudissant plutôt son connard de patron... Il partageait un office, orifice dégueulasse avec une espèce d'andouille rondouillarde qui se bâfrait paisiblement de barres chocolatées. Mentirais-je avec de fausses vérités ou m'en tirerais-je avec de vrais mensonges ? C'était la question aux choix multiples... QCM, CQFD ? Pour l'instant on me demandait surtout des réponses claires et précises... à des interrogations turlupinantes du genre :
_ Nous aimerions avoir votre emploi du temps détaillé entre le dix août et le dix septembre dernier ?
Le chicot ne faisait plus de chiquet, il se voulait sérieux, appliqué, concentré mais ticuleux... Ses longues mains crispées tremblaient consciencieusement sur une bécane ringarde qui devait être encore plus rouillée que son utilisateur du moment. C'était dire l'âge de l'antiquité.
_ Vous plaisantez ?
Fis-je très légèrement désabusé. J'avais regardé pas mal de "Navarrin" et autres "Julie l'escroc" durant mes folles années de téléspectateur non averti, naïvement, je croyais pouvoir apprivoiser ces bestiaux sans enclos. Souvent, la réalité dépasse l'affliction, j'essayais donc une fois encore de mettre une pincée d'humour dans leur plat exotique qui ne me paraissait guère appétissant.
_ A partir de quel jour exactement ?
C'est mal parti mon kiki !
_ Le mercredi dix août, jour de la Saint-Laurent.
Il me faisait l'effet Méride ? Bonjour l'angoisse, l'invalide de guerre lasse ne devait déjà plus se rappeler de ce qu'il avait bouffé la vieille au soir et moi, l'idiot du village, j'aurais dû me souvenir de tout et de rien depuis un mois et demi…
_ Ah, réfléchissons... Je me suis levé à l'horreur vers 7 heures, j'ai été faire pipi... je crois que j'en ai mis un peu à côté d'ailleurs !  Après, j'ai été déjeuner... Il me semble bien que ce matin là j'aie mis quatre tartines de pain dans mon bol de chocolat,... J'avais la dalle. Ensuite, pris de remords et d'une grosse envie de chier, j'ai été couler un bronze avant de me couler un bain, ce qui a pris du temps et du papier, vu mes problèmes intestinaux... Le mardi, je m'étais sustenté d'un succulent...
Mon couplet ne les intéressant pas outre mesure, mais alors pas du tout, je fus coupé net dans mon élan. A quoi ça cerf ? Le mastodonte venait vraisemblablement d'engloutir un morceau de poulet fermier puisque les mains innocentes qui m'agrippaient par-derrière me paraissaient horriblement grasses.
_ Tu vas arrêter de nous prendre pour des cons pendant cinq minutes, sinon, je crois que je vais me fâcher !
Il n'en s'en doutait pas, mais privé ainsi d'oxygène, je ne pouvais guère lui répondre. Lui, les bras musclés, la tête que devait représenter hélas coton tige fit signe de calmer le jeu. Je de massacre. Écarlate, vert de rage aussi, je vérifiais hâtivement s'il y avait toujours mon cou pour leur tenir tête, à l'image de ces poules guillotinées qui se débattent encore alors qu'elles ont perdu la tête. J'en profitais également pour acquiescer, faute de mieux.  A qui est-ce ? A moi… Quelques giclées de secondes plus tard, l'interrogatoire, mon purgatoire reprit dans des conditions relativement convenables. Le repoussant poussah resta continuellement derrière mon râble, rotant et pétant régulièrement en signe de bonne santé sans doute. L'argent n'a pas d'odeur, ce citoyen si moyen ne devait pas avoir beaucoup de pognon sur lui… Ne voulant pas rester éternellement enfermé avec ces bêtes sauvages en liberté inconditionnelle, je restais placide et décidais d'évacuer convenablement leurs questions dérisoires. Habitant à plus de cinq cents bornes de cette charmante bourgade, ils ne pouvaient que très difficilement faire de moi un meurtrier idéal. Leur cérémonial, mon chemin de croix durèrent plus de trois heures... Une éternité.

Publié dans Les Ouvrages

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