L'émotion de censure - Partie 5

Publié le par Deslivresetnous

_ D'habitude, cher inspecteur, ils tranchent dans le vif du sujet avec des lames sans dents, plus tranchantes, plus spectaculaires, plus incisives, plus décisives... J'ai même vu des gars qui n'étaient pas de taille nous la jouer à la coupe-coupe qui vous la coupe ou à la samouraï qui déraille, voire au cutter d'écolier abusif suivant les personnalités... Vous savez, c'est comme pour le reste, y'a les anxieux, les décontractés, les coincés, les démonstratifs, les maladroits, les impulsifs, les bricoleurs... Chacun essaie sans le savoir d'en finir à sa façon, aussi maladroitement qu'il a vécu... A ce propos, J'ai survolé un article de plage dans le "Nouveau Détective" ou justement un expert-comptable repenti...
Il ne fallait pas compter sur Ticolis pour s'enrichir d'une revue de presse pour le moins scabreuse, le temps pressait et l'oppressait.
_ Merci, j'ai compris. J'accepte sur le champs votre parrainage pour un abonnement à cette merde. Je vous ferais un chèque au bureau... Pour l'instant, on a d'autres chattes à fouetter, vous ne croyez pas ? lui asséna-t'il, ne semblant pas en état d'écouter quoique ce soit, surtout pas les divagations d'un de ses désordonnés subordonnés.

Pierre, finistérien de pure souche paraissait aussi efflanqué que Muda était replet. Rue de l'Alma, au commissariat central, dans les brimades du tigre, on n'hésitait pas à comparer injustement cette paire de fins limiers à Laurel et Hardy. Pourtant, c'étaient des détectives précieux, un peu trop loquaces mais efficaces. L'ensemble des autres flics  ne l'ignoraient point, sauf peut-être Ticolis, qui nouvellement débarqué dans le poulailler, ne voulait pas mettre ses œufs dans le même panier de crabes. De toute façon, il sauverait la planète pas nette tout seul, sans façons, à la Callahan ou la Marlow avec pour compagnon d'infortune son impressionnant calibre. Pour lui, cette affaire n'en était pas une, un suicide sanglant et avec glands, rien de plus, rien de moins... Pas la peine de mettre des glands puisqu'il y en avait déjà. Il se contenta de convenir ostensiblement, ce qui ne veut rien dire, et repartit vers les toilettes en remuant la tête de la gauche vers la droite, ce qui ne veut pas dire grand chose non plus... Ticolis semblait en proie à une de ses intenses et subites crises de torticolis, de celles qui vont font tourner la tête sans voir le cou venir.
_ Il nous prend vraiment pour des psychos ce connard ! Murmura militairement Kiroule à son collégial collègue dans une de ses insolites phases de lucidité.
_ Je sens que bientôt, je vais lui faire sa fête à ce trou du cul, acquiesça un Muda plus écarlate que jamais. Affamé comme toujours, on distinguait sans peine son ventre rond gargouiller à des milles à la ronde. Le culotté n'avait pas boulotté depuis une bonne demi-heure au moins et se croyait kidnappé par une fringante fringale. Sentant venir les meutes, l'émeute et l'inspecteur, l'aigri maigrichon, mit les bouchées doubles pour finalement achever son valeureux sandwich, puis tambourina sur l'épaule du rondouillard en lui susurrant dans la profondeur d'une portugaise ensablée :
_ T'as remarqué aussi la lucarne grande ouverte ? Bah, on en parlera à Little Big Man, tant pis pour l'autre enfoiré ! Il n'a qu'à faire son boulot correctement au lieu de se la jouer !                 
La chasse d'eau cingla une dernière fois, puis après le vomis et la merde, le triptyque de cinglés dégagea  de la cage à lapines, sous une pluie battante, puis gagnante.

Celui que désormais, la plupart des affectifs de l'effectif de l'hôtel de police intitulaient sobriquetement " trou du cul " sans le nommer, n'avait pu assister à l'ensevelissement, par pudeur ou par paresse. La date de péremption était maintenant largement dépassée pour avouer aux tracassés gallinacés la tenace amitié qui l'avait lié puis séparé de l'exclusive progéniture du défunt. De plus, grâce à la bienveillance de ses investigateurs favoris, le pauvre s'était fait singulièrement réprimander par le commissaire Abouard. Une sorte de père fouettard des VRP de l'ordre qui lui avait fait sauter sans pitié son amende honorable.
_ Huit mois à peine que vous êtes ici, et déjà vous vous illustrez par votre négligence et votre incompétence ! Vous avez intérêt à vous reprendre mon jeune ami… Sinon, croyez-moi, je ne me priverais pas de vous faire chier jusqu'à ce que vous craquiez… Pensez à tous ces péteux qui se sont déjà supprimés… lui avait asséné l'incoercible barbu, chef incontestable et incontesté de la tribu des képis qu'ont trop bu. Désormais funambule noctambule, il ne s'en balançait pas, se balançant plutôt les pieds en éventail sur une corde raide, souvent pendu au téléphone qu'il détestait pourtant. Le truc qu'il haïssait le plus après ses consœurs siamois et les blagues sur le Père Noël mais avant celles toutefois sur les rapports sexuels entre les Belges et leurs moules-frites. Son père Joël avait trépassé une nuit arrosée de Saint-Sylvestre, coincé dans la cheminée avec sa barbe contrefaçon et son travestissement sans façons. Sa conjointe surpassée venait alors paisiblement d'allumer un gigantesque feu de joie. On ne sut jamais, et mieux valut pas, si elle l'avait carbonisé express, exprès ou non... Toujours est-il que la morue mourût elle aussi quelques damnées années plus tard, souillée, torturée, décapitée, déchiquetée, écartelée puis finalement assassinée sans raffinement par un lugubre personnage pastichant l'illustrissime Karl Marx, mais grâce au ciel nettement moins dangereux que celui-ci. Son frérot aîné, l'ange Gabriel périt un peu plus tard dans un des attentats intégristes qui frappèrent sauvagement la capitale parisienne au milieu des années 80. Encore et toujours des barbus, manquait plus que le capitaine Haddock... Mille sabords. C'est d'ailleurs cette haine farouche des méchants poilus du dessous de menton qui l'avait exhorté à rejoindre les rangs de la peau lisse nationale. Comme si sa vie n'avait pas été émaillée de suffisamment d'âpreté jusqu'à lors...

Publié dans Les Ouvrages

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